CHAPITRE XXV

Jacen Solo croisa les mains dans son dos. Son oncle avait appelé les Jedi à une réunion au sein d’un bosquet situé dans les niveaux supérieurs du Baie de Tafanda. Il percevait toujours la présence de Jaina dans la cité aérienne ithorienne… Pourquoi n’était-elle pas présente à la réunion ?

D’après ce qu’il captait à travers la Force, elle était en simulation. Il était presque jaloux de voir l’escadron éloigner ainsi sa sœur des Jedi.

Il essaya d’analyser ces sentiments négatifs. Il éprouvait de la jalousie parce qu’elle aimait voler avec l’escadron, jouant à merveille son rôle de pilote de combat. Cela étant, elle n’avait pas renié son héritage de Jedi… elle l’employait de façon différente.

Elle suit la même tradition que Corran Horn : l’escadron d’abord.

Jacen avait accepté de marcher sur les traces de Corran et de son oncle, devenant leur type de Jedi. Il avait fait du bon travail sur Belkadan et sur Garqi, il le savait… Mais il éprouvait toujours un vague sentiment d’insatisfaction.

Le massacre de Dantooine lui rappela ce que la tradition Jedi avait de plus traumatisant à ses yeux. Ils n’avaient pas eu le choix : tuer les soldats yuuzhan vong pour sauver des innocents… Ils avaient agi en défenseurs, sans se laisser souiller par le Côté Obscur.

Pourtant, beaucoup d’êtres sont morts.

Jacen fut de nouveau confronté à une question philosophique sans réponse… Si la Force reliait toutes les créatures de l’univers, tuer ne pouvait en aucun cas trouver de justification.

Le Code Jedi l’affirme : la mort n’existe pas. Il y a seulement la Force. Pourtant, la fin brutale de milliards de gens sur Alderaan et Carida a expédié des ondes de choc à travers la Force…

Dans ce cas, des massacres moins massifs n’avaient-ils pas une importance similaire ?

Jacen n’avait pas la réponse… Ce qui ne voulait pas dire qu’il n’en existait pas.

Anakin avait suggéré qu’il tournait autour de la réponse… Et son jeune frère avait de l’intuition.

Si je tourne en rond, je sais au moins qu’il y a quelque chose autour de quoi tourner ! Il me reste seulement à trouver quoi…

Deux considérations firent revenir Jacen à l’instant présent.

D’abord, l’apparition de Relal Tawron, le grand prêtre ithorien, coïncidant avec celle de Luke.

Ensuite, l’entrée discrète de Daeshara’cor, qui souligna le sérieux de la réunion.

Depuis l’arrivée de Luke sur Ithor, la Jedi twi’lek avait été gardée au secret – à sa propre demande. Jacen savait que Luke avait passé du temps avec elle. Mais il n’avait pas donné d’explications sur la recherche de super-armes... Luke Skywalker salua la vingtaine de Jedi présents.

— Mes frères et mes sœurs, Relal Tawron est venu nous préparer à participer à la bataille. Ecoutez ce qu’il a à dire. Notre objectif est de sauver Ithor, mais notre propre négligence pourrait la détruire.

L’Ithorien regarda les Jedi en silence. Puis il parla d’une voix basse.

— Nous accueillons les Jedi de bon cœur et nous vous remercions de ce que vous ferez pour nous. Je prends la parole en mon nom, en celui de la Jungle Mère au-dessus de laquelle nous flottons, et au nom du peuple ithorien. Nous ne faisons qu’un et souhaitons que vous communiiez avec nous.

Jacen sentit chez le porte-parole une sérénité enviable et une grande confiance en soi. J’aimerais avoir la même ! Relal Tawron ouvrit les bras.

— Vous avez tous entendu dire que nous ne permettons à personne de poser un pied sur Ithor. C’est une traduction correcte de notre langue en basique, mais ce n’est pas la vérité absolue. Des pèlerins y viennent à l’occasion pour visiter les lieux sacrés antérieurs aux progrès technologiques qui nous ont permis de construire les cités flottantes. Ils soignent les forêts, réparant les dégâts des orages ou des incendies. Ces pèlerinages requièrent une préparation spirituelle.

« Vous irez aussi, si c’est nécessaire. Nous souhaitons vous y préparer pour que vous acceptiez cette planète comme votre mère. En retour, elle vous reconnaîtra comme ses enfants. Pour cela, vous devez évoluer, devenir autre que ce que vous êtes. Personne n’est autorisé à poser un pied sur la planète. Car ceux qui le font ne sont plus eux-mêmes.

Pour faire un avec la Force, j’ai dû devenir davantage que ce que j’étais. Autrement dit, rejeter l’image que j’avais de moi-même.

— Tout pèlerin voyageant à la surface souhaite se rapprocher de la Jungle Mère. Vous modifierez ce qui vous incite à vous renfermer sur vous-mêmes. Et vous vous ferez partager cette évolution aux autres.

— Pas question ! s’insurgea Wurth Skidder. C’est une perte de temps. Nous ferions mieux de nous préparer à combattre les Vong !

Luke fronça les sourcils.

— Ceci est plus important, Wurth.

— Si vous estimez que vous perdez votre temps, quittez la réunion ! lança le grand prêtre.

— Quoi ? Mais nous sommes là pour sauver votre planète !

— Sauvez-vous vous-même, Jedi ! Si vous n’y êtes pas prêt, la Jungle Mère ne peut rien pour vous.

— Je ne comprends pas…

Kyp posa une main sur le bras de Wurth.

— Désolé, Relal Tawron. Nous comprenons, et nous respecterons vos coutumes.

L’Ithorien hocha la tête.

— Cette réunion a pour but de préparer les pèlerins à l’unité avec la Jungle Mère. Nous réussirons seulement en travaillant à l’unisson.

Luke Skywalker se tourna vers le grand prêtre.

— Si possible, j’aimerais commencer.

— Nous en serions honorés, maître Skywalker.

— Je renonce à mes responsabilités. Longtemps, être le seul héritier de la tradition Jedi fut un fardeau pour moi. Mais je vous ai trompés. Vous êtes tous mes cohéritiers. A votre tour, vous accepterez votre part des responsabilités. J’ai toute confiance en vous.

La renonciation publique de Luke était un cadeau qui les liait les uns aux autres et les unissait à la Jungle.

Tous firent leurs déclarations. Jacen les écouta, s’étonnant de leur calme.

Il s’interrogea… Qu’est-ce qui l’empêchait d’être en paix avec lui-même ?

Le discours d’Anakin le surprit beaucoup.

— J’abandonne la certitude d’avoir toujours raison. Je veux tellement bien faire que je ne cherche pas toujours à savoir si une autre réponse ne serait pas plus appropriée. Etre un Juste est une destination ; je ne suis qu’au début du voyage.

A l’autre bout de la salle, Daeshara’cor enroula un de ses tentacules crâniens autour de son épaule.

— Je renonce à la haine. Quand j’ai entendu parler des méthodes esclavagistes des Yuuzhan Vong, je les ai haïs autant que ceux qui ont fait de ma mère une esclave. Et cette émotion m’a poussée à agir stupidement. J’arrêterai les Yuuzhan Vong car il le faut, mais je m’abstiendrai de les haïr.

Corran se passa une main sur le visage.

— Je laisse tomber la peur. Toute ma vie, j’ai redouté l’échec, craignant de ne pas être à la hauteur de ce qu’on attendait de moi… C’est terminé. L’échec n’est plus au menu ! Le craindre ou redouter quoi que ce soit d’autre est inutile.

Ganner fit un signe de tête.

— Je veux me débarrasser de l’orgueil. Il m’a trop souvent aveuglé, y compris contre les Yuuzhan Vong. La Jungle n’a pas besoin d’un gardien aveugle.

Octa Ramis se glissa devant Daeshara’cor.

— Pleurer un ami tué par les Yuuzhan Vong m’a aveuglée aussi. Je laisserai ses mânes reposer en paix.

Soudain, la réponse le frappa. Elle était si simple ! Et pourtant…

— Je renonce au besoin de savoir ce que je deviendrai plus tard. En m’occupant de mon avenir, j’ai omis de voir le présent et le rôle que j’y occupe. Le présent est trop important pour que je m’occupe d’autre chose pour le moment.

Jacen se sentit réchauffé par sa confession et par le regard approbateur que lui lança son oncle. Il ne renonçait pas au besoin de trouver sa place, il en modulait seulement l’urgence… L’énergie ainsi recanalisée bénéficierait à la défense d’Ithor.

Espérons que je vivrai assez longtemps pour continuer sur ma lancée sans trop tourner en rond…

Les Jedi firent tous leur déclaration.

Wurth renonça à la faiblesse avec une véhémence destinée à cacher son insécurité.

Kyp rejeta la fierté, suggérant que la gloire d’un seul rejaillissait sur tous. Par cette déclaration, il essayait de rallier les Jedi, comme Luke l’avait fait – même si ses efforts étaient maladroits du point de vue de Jacen.

Jacen se doutait que le grand prêtre ithorien avait percé à jour Kyp, Wurth et quelques autres.

— Jedi, à travers votre lien avec la Force, vous comprenez de quelle façon toute vie est étroitement liée aux autres. Aujourd’hui, vous voilà liés à la Jungle Mère et au peuple ithorien. Nos destins sont entremêlés. Nous accueillons votre force et votre sincérité. Nous vous offrons notre soutien et notre amour. Ensemble, nous serons plus forts face à la menace.

L’Ithorien serra la main du maître Jedi. Puis Luke regarda le grand prêtre quitter la salle, non sans s’arrêter un instant près de Daeshara’cor pour lui murmurer quelque chose à l’oreille.

— Comme vous le savez tous, dit-il, nôtre rôle n’a pas encore été défini. Vous récupérerez dans l’ordinateur central les plans qui ont été étudiés à notre intention. Vous ignorerez ceux qui n’émanent pas des amiraux Pellaeon et Kre’fey ou de moi. J’aurai des affectations pour chacun de vous.

— Vous nous cédez vos responsabilités, mais nous n’aurons pas notre mot à dire sur la répartition des rôles ? lâcha Kyp Durron, sourcils froncés.

— Je vous ai donné la responsabilité de vos propres actions. Mais ce sont les militaires qui commandent et décident. Quant à la façon dont nous agirons, vous aurez tous le droit d’intervenir. Ils décideront ce qui doit être fait, et nous déciderons de quelle façon l’accomplir au mieux.

Il parcourut la salle du regard.

— C’est tout pour l’instant. Que la Force soit avec vous.

Les Jedi partirent par petits groupes. Luke rejoignit Anakin et Jacen, leur posant une main sur l’épaule.

— Je suis très fier de vous. Votre réaction prouve que vous n’êtes plus des gamins.

— Merci, maître, dit Jacen.

— Merci aussi, oncle Luke, renchérit Anakin en souriant. Je suis prêt à exécuter vos décisions, quelles qu’elles soient.

Ganner gloussa.

— Vu l’expérience que vous avez des Yuuzhan Vong, il faudrait peut-être vous confier le commandement de notre contingent !

Luke haussa un sourcil.

— Je ne suis pas sûr qu’une telle responsabilité doive déjà peser sur ses épaules. Un jour…

Daeshara’cor approcha du groupe.

— Joignez-vous à nous, Daeshara’cor.

— Oui, maître. Je voulais vous remercier de m’avoir fait confiance en me permettant de participer à cette cérémonie. J’ai beaucoup réfléchi sur moi-même. Jusqu’à ce qu’on me demande de m’exprimer, je n’avais pas vraiment mesuré la portée de mes actes. J’avais laissé la haine m’asservir… Je ne regrette pas de m’opposer à l’esclavage ni aux Yuuzhan Vong, mais je le ferai désormais pour des raisons valables. Gagner ou préserver la liberté est bien. Chercher la vengeance ne l’est pas.

Le maître Jedi hocha la tête.

— Voilà une leçon profitable pour tous. Heureux de vous avoir de nouveau parmi nous, Daeshara’cor. La lutte exigera que nous donnions le meilleur de nous-mêmes.

Corran soupira.